Promenons-nous pas dans les bois
Comprendre et utiliser le Folk Horror pour foutre les jetons à sa table
S'il y a une chose à savoir à mon sujet, c'est que je suis un vieux croûton. J'ai fait mes premières parties de jeu de rôle il y a une trentaine d'années, rentrant dans le hobby sans rien y connaître, et m'y repaissant rapidement d'histoires et de camaraderie.
Quand je repense à cette époque, c'est avec nostalgie. Nous étions tous jeunes, certains plus expérimentés que d'autres en JDR (et moi, totalement ignorante des règles de tous ces jeux).
Parmi les jeux auxquels on m’a initié, j'appréciais tout particulièrement les jeux "qui faisaient peur" et où on jouait un monstre—et j'étais fascinée par Vampire: La Mascarade. Je rêvais d’être une vampire—ou n'importe quelle autre créature surnaturelle. Ces monstres délicieux qui peuplaient mes lectures depuis toujours.
Plus récemment, il y a quelques semaines à peine, j'ai eu l'occasion de rejouer à un de ces jeux "qui fichent la frouille" avec mon époux et mon fils… une sombre histoire de village Cthulhuesque avec un gros monstre tentaculaire et une sous-couche de village louche et de villageois gluants, qui m’a régalée.
Et cela m’a fait repenser à ma première partie de Vampire, où j’ai créé une humaine. J’avais eu l'occasion de jouer ma transformation en créature de la nuit avec mon MJ de l’époque.
Je suis une grande fan de tout ce qui fait peur—horreur, thrillers, sous n’importe quelle forme—et un genre qui me fascine, c’est le Folk Horror.
Et là, la révélation: c'est ce qui aurait pu changer du tout au tout l’ambiance de ma première partie de Vampire. C’était une première partie relativement sexy, sombre, mais loin de ce à quoi je m'attendais: de la véritable horreur.
Je sais, on m'a bien expliqué: la plupart des rôlistes commencent directement à jouer des vampires—mais je suis certaine qu'il y a d’autres joueurs ou joueuses comme moi qui ont envie de commencer "au début".
Et le genre du Folk Horror pourrait être utile pour des rôlistes qui jouent à des jeux comme Vaesen, Kult, Things from the Flood, The Witcher, Maléfices, Alien, ou Hunter. Il y a matière à piocher dans les infos qui vont suivre, et ainsi en profiter pour rendre la narration encore plus effrayante et fournie.
Quel que soit le jeu auquel vous avez envie d'appliquer cette atmosphère effrayante, j'espère que cet article vous permettra d'approfondir vos réflexions, de nourrir votre imagination, et de préparer un moment inoubliable à votre table!
Qu'est-ce que le Folk Horror?
Le Folk Horror, c'est un ensemble de règles, mais pas seulement. C’est aussi un état d’esprit. Une humeur. Une esthétique, même.
Les lieux utilisés dans ce genre sont fascinants, oppressants, et il y a une fixation sur le folklore et la superstition répandus dans la campagne britannique (source: Mark Gatiss, A History of Horror). Il y a des cultes, des sacrifices rituels…
Tout ça en plein jour, au vu et au su de tous.
Alors même que le soleil brille!
Le Folk Horror prend sa source dans les horreurs de notre histoire. Si on y pense, sans l'idéaliser, l'histoire de notre civilisation n’est que violence, torture, guerre, chasse aux sorcières...
Nous avons de bonnes raisons d’avoir peur des mœurs anciennes, et de toutes les croyances et coutumes qui prenaient place dans le quotidien avant que les conforts de notre civilisation moderne n'existent.
Entre l'atmosphère inexplicable et lourde, les mystères multiples et incompréhensibles, et la suspicion naturelle—voire les machinations—des locaux (qui peuvent être soit agressifs, soit simplement vouloir faciliter la mort ou la disparition des étrangers qui passent par là), il y a matière à piocher de nombreux éléments pour amplifier l'atmosphère angoissante de vos prochaines parties.
La chaîne de Scovell
Adam Scovell, dans son livre Folk Horror: Hours Dreadful and Things Strange, mentionne que le Folk Horror est une chaîne constituée de quatre liens, chacun d’entre eux menant au suivant.
- Premier lien de la chaîne: un lieu rural—il y a une emphase sur le paysage et son effet sur les personnes qui passent par là.
- Deuxième lien de la chaîne: des communautés ou groupes isolés—les personnages étrangers au lieu sont piégés dans cette situation avec des locaux inquiétants. Ils sont coupés de la civilisation moderne, et ne peuvent pas juste s'échapper et partir ailleurs.
- Troisième lien de la chaîne: une moralité ou des croyances déformées—les habitants du lieu vivent coupés de la société, et donc différemment de nous. Il y a une impression d'impunité, de chaos, d'illégalité, avec des traditions et coutumes totalement bizarres et parfois effrayantes, qui nous laissent un sentiment de malaise.
- Quatrième et dernier lien: il se passe des choses violentes et/ou surnaturelles—les conséquences pour les étrangers sont toujours graves. Meurtres, viols, sacrifices rituels… ça ne finit jamais bien. Dans le cadre d’un JDR, ce sera aux joueurs et joueuses de tenter de changer cela!
La fondation du Folk Horror au cinéma
Des exemples de Folk Horror, à découvrir ou redécouvrir:
- La nuit des maléfices (1971)—il semble que ce film soit à l'origine du genre, car c’est à son propos qu’on mentionne le Folk Horror pour la première fois.
- The Wicker Man (1973)—une des références du genre Folk Horror, avec Christopher Lee.
- Dagon (2001)—un nanar Lovecraftien qui vaut le coup d'être vu.
- The Witch (2015)—un essai sur l'obscurantisme, avec un fond de Folk Horror, nous laissant nous interroger sur la réalité des faits dans l'histoire
Éloignons-nous d'Albion
La question qu'on se pose, c'est: peut-on utiliser le Folk Horror en dehors des campagnes britanniques?
Eh bien oui, le Folk Horror peut être—et a été—adapté partout, avec brio.
D'ailleurs, qui va nous en empêcher? Et avec quelle armée?
Il y a plusieurs dérivatifs bien connus du Folk Horror. Le Southern Gothic et la Hicksploitation sont très similaires, par exemple, et se passent tous deux dans le sud des États-Unis.
Un groupe d’étrangers venant de la ville, généralement ignorants des coutumes du coin, tombent sur une communauté qu'ils ne comprennent pas (et du coup, ne respectent pas). Ils sont tourmentés par les gens du coin, et souvent tués.
- La nuit du chasseur (1955), du Folk Horror "renversé" où c'est l'étranger—qui se fait passer pour un homme de Dieu—qui est la véritable menace
- Häxan - La Sorcellerie à travers les âges (1922)
- Délivrance (1972)
- Massacre à la tronçonneuse (1974)
La chaîne de Scovell peut être modifiée, modelée selon les besoins. On peut trouver plusieurs exemples de films qui, selon moi, relèvent du Folk Horror, et qui ne se situent pas en Grande Bretagne ou aux États-Unis:
- Onibaba, les tueuses (1964) se situe au Japon
- Midsommar (2019) en Suède
- The Strangers (2016) en Corée du Sud
- Errementari (2017) en Espagne, au Pays Basque
On voit bien que les principes à mettre en place sont adaptables facilement à différents folklores et lieux. Il suffit de chercher à mêler cette ambiance, à jouer sur cette ambivalence entre les gentils qui sont méchants… et les méchants qui, au final, sont les gentils à leurs propres yeux.
Autres exemples de Folk Horror au cinéma
Je vous propose de voir (ou revoir) certains de ces films, que j’ai appréciés, pour vous mettre dans l'ambiance.
Certains titres dans cette liste vont peut-être vous étonner, et seront sans doute soumis à critique, car ils sont très vraisemblablement inattendus dans un article sur le Folk Horror (n’étant pas ancrés clairement dans le genre).
Je pense toutefois qu’ils en font quand même partie—sinon dans la forme, au moins dans l’esprit:
- Get Out (2017)
- Sleepy Hollow, la légende du cavalier sans tête (1999)
- Hérédité (2018)
- Le village (2004)
- Le labyrinthe de Pan (2006)
- Le rituel (2017)
- Evil Dead (1981)
- Hot Fuzz (2007)
- La colline a des yeux (1977)
- Les démons du maïs (1984)
- Simetierre (1989)
- A Dark Song (2017)
- La cabane dans les bois (2012)
- X (2022)
Et dans les séries...
- Lovecraft Country (2020)
- Sermons de minuit (2021)
- Twin Peaks (1990-2017)
- True Detective (2014)
J’en oublie (et omets) très certainement. Et bien entendu, je ne fais mention d'aucun livre, mais ils sont légion. N'hésitez pas à m'écrire pour me dire vos préférés!
Photomontage tiré d'une image de Hot Fuzz
Le Folk Horror a plusieurs visages… mais un même cœur
Finalement, le Folk Horror est avant tout un rappel—violent—que nous sommes entourés de forces plus anciennes et plus puissantes que nous. Nous ne sommes guère plus que des animaux, finalement, dès l'instant où nous nous retrouvons privés de notre mode de vie moderne—avec nos voitures, nos smartphones, ou nos ordis.
Le regard sur notre humanité à travers le Folk Horror est glaçant. Les vampires, monstres ou démons ne sont pas forcément nécessaires pour que cela fonctionne, même si à mon avis ça ne gâche rien.
Les personnes étrangères soumises à ces situations ne sont pas les héros traditionnels, ou des final girls. D’ailleurs, ces "gentils" sont généralement plutôt peu aimables et arrogants. On y ficherait bien quelques beignes, pour leur apprendre le respect.
On peut observer des gens coupés du monde, avec des modes de vie et croyances étranges et effrayants, et qui sont des "méchants" à nos yeux, mais qui eux-mêmes trouvent leurs actions justifiées.
On peut se poser la question de savoir de quel côté on est. Qui est le méchant dans l'histoire? Probablement les deux camps. Personnellement, il n’y en a pas un dans le lot que j'inviterais à dîner à la maison.
Mais on peut même aller jusqu'à se passer de la communauté de locaux agressifs. Dans Blair Witch Project, le Folk Horror imprègne tout le film. Cependant, on ne voit jamais la sorcière. Ce sont trois personnes qui partent en expédition en n'ayant fait aucune des préparations nécessaires, et qui se montent les unes contre les autres dès que la nature prend le dessus et qu’ils sont incapables de retrouver leur chemin.
L'Homme est tout à fait capable d'être son pire ennemi.
De l'ambiance dans vos parties (TL;DR)
Si comme moi vous êtes carrément emballés par ce genre, et que vous trépignez de faire subir du Folk Horror à vos joueurs et joueuses durant votre prochaine partie, voici une petite liste de points sur lesquels vous pouvez vous baser pour fomenter votre scénario:
- Quelque chose ne va pas—la voiture tombe en panne, une personne se perd dans la forêt, quelqu'un a un accident, ou toute autre situation où les personnages se retrouvent coincés loin de la civilisation. Des points de bonus si, en plus, personne ne sait où ils sont et qu’il n'y a aucune chance qu'on leur envoie la cavalerie.
- L'atmosphère est malaisante—dans le Folk Horror, la nature est étouffante, omniprésente, et sert de barrière entre les personnages et la normalité.
- C’est difficile de mettre le doigt sur ce qui cloche—les personnages pourraient être prévenus par leur intuition, mais ne s'écoutent pas. Ils rationalisent, utilisent leur sens commun de la "vraie vie", et pensent qu'ils sont autant en sécurité que dans leur monde habituel. C’est le moment où, dans le film d’horreur, tout le monde beugle à l’écran de ne pas descendre seul au sous-sol, mais cette andouille d'acteur y va quand même pour s'y faire étriper.
- Les habitants du coin sont méfiants et/ou hostiles—entre ceux qui essaient de piéger les personnages afin de finir par les capturer et les torturer, et ceux qui essaient directement de les tuer, à vous de doser… une montée en puissance progressive peut permettre aux personnages d’avoir le temps de chercher à comprendre les mystères de la situation qui les entoure, avant l’affrontement final.
- Il y a des rituels bizarres—scarifications, danses avec le frifri à l’air, effigies pendues aux arbres ou symboles peints avec du sang sur les portes, tout est possible. À vous de voir, selon le thème que vous voulez donner à votre partie.
- On découvre tout un ensemble de règles communément acceptées par les habitants du coin, mais qui ne font aucun sens pour les protagonistes—et qui vont, évidemment, les mettre dans la panade, car ils ne sauront pas qu’il faut éviter ces actions-là s’ils ne veulent pas précipiter leur trépas.
- C’est impossible de s'échapper sans comprendre les mystères du lieu (qui ne sont découverts que graduellement)—les clefs permettant de s’échapper se trouvent après plusieurs épreuves ou découvertes périlleuses.
Pas besoin de faire sursauter tout le temps les personnages. Pas non plus besoin d'aller très loin dans le gore. Le Folk Horror réside dans ce malaise qui vous remue les tripes—cette impression qu’il y a un truc pas normal qui est en train de se passer, et que vous n'osez pas admettre par peur de paraître dérangé aux yeux des autres personnages.
Vous allez pouvoir tester les capacités de vos joueurs et joueuses à gérer l’inconnu et à être débrouillards. Vous allez aussi voir s'ils seront capables d'échapper à leur sort, s'il vont périr… ou même rejoindre le culte qui les a persécutés ou subvertis.
Dans quel univers de jeu de rôle envisagez-vous d'utiliser le Folk Horror? Avec quel système? Avez-vous déjà une idée de scénario ou de campagne? En avez-vous déjà joué?
Je serais ravie que vous me régaliez de vos idées et expériences passées.