Boîte à outils JDR: Équilibrer talents et défauts pour créer un personnage remarquable
Quand tout est parfait, on se fait chier!
Quoi de plus pénible qu’un personnage parfait? Dans la littérature, les films, les séries… c’est vraiment une plaie. On se retrouve avec quelqu’un qui s’en sort toujours, par des moyens scénaristiques, mais dont on n’a pas grand-chose à carrer.
Ces personnages ne sont pas suffisamment remplis de sens, et ne sont là que pour faire avancer l’histoire. Regardez Michael Scofield dans Prison Break, par exemple: l’exemple parfait du gars fadasse qui réussit tout ce qu’il fait ou presque, et qui a la personnalité d’une moule neurasthénique. Au final, on s’attache beaucoup plus à cette vieille crotte de T-Bag—une saloperie notoire, mais une saloperie fun.
Les PJs et PNJs parfaits sont ennuyeux. Je suis sûre que vous pouvez trouver d’innombrables exemples de Mary Sue et Gary Stu—ces persos qui ne provoquent que des bâillements, et qui font que la seule façon de faire avancer l’histoire est de leur lancer des épreuves au visage. Épreuves toujours surmontées, ou presque—quand elles ne le sont pas, les nouvelles épreuves sont résolues très rapidement.
Et moi, dans le storytelling, j’aime quand ça chie. J’aime quand il y a des personnages imparfaits, poussés à l’action par leur passé, leurs blessures, leurs défauts. J’aime quand du coup ils arrivent à résoudre leurs problèmes avec leurs talents.
Les défauts rendent les personnages vulnérables, et donc plus attachants. Plus humains.
Alors aujourd’hui je vous propose d’explorer comment s’arranger pour que vos PJs et vos PNJs aient du goût, de la substance, et soient fun à jouer à votre table.
Donner de multiples facettes à son personnage
Comme un personnage équilibré ne doit pas avoir toutes les qualités, il ne doit pas non plus avoir tous les défauts—mais je suis sûre que je ne vous apprends rien.
Un personnage authentique a des qualités et des défauts de façon équilibrée.
Ces défauts sont des failles où peut s’engouffrer la narration, et sont donc cruciaux pour rajouter du sel à vos parties.
Alors qu’est-ce qu’un personnage, PJ ou PNJ, doit avoir pour être classe?
Il a un défaut majeur lié à sa blessure émotionnelle
Je vous parlais des blessures émotionnelles dans un article précédent. Elles sont, selon moi, une des briques à la base de la structure de votre personnage. Sans elle, pas de direction pour la narration—tout devient possible, mais en même temps, tout devient sans enjeux.
Exemples de défauts majeurs liés à des blessures émotionnelles dans la culture:
- Dans The Last of Us, la blessure émotionnelle de Joel, c’est d’avoir perdu sa fille Sarah dans des conditions tragiques. Le défaut majeur qui en résulte, c’est qu’il s’efforce de ne plus s’attacher à personne, ce qui va rendre sa relation à Ellie conflictuelle et problématique.
- Dans Bridgerton, le Duc d’Hastings a été maltraité et rabaissé par son père durant toute sa vie parce qu’il avait un défaut d’élocution. Il décide donc de ne jamais tomber amoureux, de ne jamais se marier, et de ne jamais avoir d’enfant, de peur de devenir aussi maltraitant que son père—et aussi pour lui ôter toute chance d’avoir la longue lignée à laquelle il aspirait.
- Dans Baghead, Iris et sa mère ont été abandonnées par son père. Après la mort de sa mère, Iris se retrouve avec très peu de moyens pour survivre. Elle est prête à tout pour retrouver une sécurité financière—même participer des rituels très risqués portant à des conséquences terribles.
Lorsque vous avez choisi une blessure émotionnelle pour votre personnage, choisissez aussi le défaut majeur qui les relie. Comment va-t-il réagir? Que va-t-il craindre? Comment va-t-il se protéger (psychologiquement ou physiquement)?
Il a aussi des défauts moins graves qui en font un personnage équilibré
Et surtout, qui lui donnent de la personnalité qui pimentent le roleplay. Un personnage tête en l’air peut avoir du mal à retrouver ses affaires. Un personnage colérique peut avoir tendance à se fâcher régulièrement avec ses amis, et devoir se rabibocher par la suite.
Exemples:
- Dans Friends, Joey a tendance à séduire toutes les femmes de son entourage, et les laisser tomber une fois qu’il a couché avec elles—ce qui créer régulièrement des problèmes et des situations cocasses dans la série.
- Dans The Office, Michael recherche l’attention et l’amitié de tous ceux qui l’entourent, au point d’en devenir insupportable à vivre.
- Dans Supernatural, Dean a une estime de lui-même très basse, car c’est toujours son frère qui a été considéré par son père comme étant le plus intelligent. Il est persuadé n’être utile que dans son rôle de soldat qui se sacrifie pour les autres.
Vous les touchez du doigt, les possibilités de narration? Cette richesse que cela peut apporter aux scénarios?
Pourquoi faire un personnage faillible?
On l’a déjà dit, la perfection est ennuyeuse.
S’il est vrai qu’on admire les personnages pour leur force, il est aussi vrai qu’on se connecte à eux à travers leurs défauts et faiblesses. C’est ce qui les rend humains. C’est ce qui fait qu’on les aime tellement.
Exemples:
- Dans Dr House, on se connecte au Docteur House malgré ses dessous rébarbatifs de je-sais-tout, car il est poussé par son besoin de résoudre les énigmes médicales qui lui sont présentées.
- Dans Seinfeld, on adore George Constanza malgré son caractère irascible et ses manigances incessantes.
- Dans Buffy contre les vampires, on s’attache à Cordelia malgré son besoin de popularité et sa façon de rabaisser les autres.
Ces personnages peuvent être difficiles à aimer, pourtant! Ils ont des défauts plutôt graves et impardonnables, même dans certaines circonstances. Et pourtant…
Est-ce que ces personnages seraient aussi attachants s’ils n’avaient aucun défaut?
Donnez-lui des défauts
La question à se poser, c’est: qu’est-ce qui ne va pas chez votre personnage?
Pour vous décider, vous pouvez chercher des faiblesses ayant un rapport avec leur éducation, ou leur passé. Ces faiblesses-là ajouteront de la profondeur à votre personnage.
En plus de la blessure et du défaut majeur qui y est lié, votre personnage a besoin de défauts mineurs. Ces derniers sont assez inoffensifs, n’ont pas besoin de faire partie intégrante de la partie, et n’ont pas forcément besoin d’être très soignés. Ils sont là pour appuyer votre storytelling quand le moment est opportun.
Exemples de défauts mineurs:
- votre personnage ne mange pas certains aliments—manger à l’extérieur ou avec des personnages inconnues devient compliqué
- votre personnage est bordélique—il ne retrouve rien, trébuche dans son appartement sur les affaires posées par terre, etc.
- votre personnage n’a pas de filtre entre le cerveau et la bouche—il a tendance à dire ses quatre vérités à tout le monde, sans se rendre compte qu’il les vexe
- votre personnage est toujours pressé, ou toujours en retard—cela amène des frictions avec les personnes qui sont autour de lui
- votre personnage est obsédé par la propreté et l’organisation—au point de ne pouvoir se concentrer sur rien tant que tout n’est pas parfaitement rangé
On peut en trouver autant qu’on souhaite. Personnellement, j’en choisis un ou deux, et je cherche comment les utiliser pour rendre mon personnage réel—plus humain.
Donnez-lui aussi des talents
Ne pas en faire un personnage parfait ne signifie pas ne pas lui donner de talents. On a tous et toutes des qualités, et des zones de génie.
De façon naturelle, on admire les personnages qui ont du talent. Ces talents peuvent inclure des compétences apprises par le passé, ou des capacités innées—à vous de décider.
Comme des armes mythologiques magiques, les talents aident le personnage à réussir dans les parties. Quels sont ceux de votre personnage?
Choisissez trois talents ou traits positifs, connectés à son passé.
Exemples de talents:
- lanceur de javelot
- cuisinier habile
- doué avec les enfants
- intuitif, capable de lire les gens
- très logique et intelligent
Si vous ne trouvez pas quels talents lui donner, réfléchissez à ce que vous, vous adoreriez savoir faire. Après tout, pourquoi ne pas en profiter pour réaliser vos propres désirs au passage!
Liez ses défauts et ses talents à son passé
Pour rendre le tout cohésif, c’est important de lier les talents et les défauts du personnages à son passé. C’est là qu’ils doivent être ancrés.
Par exemple:
- votre personnage est prude—il a été élevé par des parents très stricts
- votre personnage est pédant—il a hérité ce trait de personnalité d’un de ses parents
- votre personnage est fouillon—il a beaucoup été critiqué à propos de sa propension au désordre pendant sa jeunesse, car il vivait dans une maison très stricte
- votre personnage court vite—il est né avec des facilités à la course, et appréciait le sport à l’école
- votre personnage est un mécanicien doué—il a un grand-parent qui travaillait sur sa propre voiture, et il a eu la permission de l’aider à travailler sur le moteur
- votre personnage a bon rapport avec les animaux et les enfants—il a grandi dans une ferme et a beaucoup de frères et sœurs
Si les autres joueurs et joueuses, ou le MJ, ne sont pas obligés de savoir d’où ils viennent, vous si. En comprenant leur provenance, vous pourrez les utiliser pour le mieux pendant le roleplay.
Encore une fois, tout est lié. Comme dans la vraie vie, au final!
Comment rendre ces talents et défauts visibles durant la partie
Roleplay, roleplay, roleplay!
En écriture, on dit “show, don’t tell”. Ça veut dire qu’on ne doit pas donner les informations verbalement, on doit montrer les talents et défauts de son personnage à travers ses actions.
Du coup, pendant la partie, vous pouvez profiter de certaines scènes pour les mettre en avant, et tenter de les utiliser pour faire avancer l’intrigue au passage.
Exemples:
- votre personnage est maladroit—il trébuche régulièrement, fait tomber des objets, dit tout le temps “pardon”, “oups”, “je suis désolé·e”… et pourrait, un jour, faire tomber un vase dans lequel se trouve un indice.
- votre personnage a des difficultés à réfléchir—il est souvent impulsif, ne prend pas le temps de peser le pour et le contre avant de se lancer dans l’action, et refuse toutes tâches un peu compliquées et demandant de se pencher sur une compétence qui n’est pas innée chez lui (recherches, taxes, bricolage, etc.).
- votre personnage est misanthrope—il évite les gens tant que faire se peut, se cache quand on frappe à sa porte, pose des lapins aux réunions de famille, etc.
Tous les défauts sont utilisables et montrables à la table. La curation peut être utile, si vous décidez de les choisir précautionneusement pour qu’ils aient une véritable synergie entre eux cela peut mener à des combos véritablement géniaux.
Les défauts peuvent être des qualités, et vice versa
Vous connaissez la situation: vous avez un entretien d’embauche, et votre futur employeur vous demande un de vos défauts. C’est toujours possible de transformer ses défauts en qualité… mais aussi, ses qualités en défaut!
Tout dépend de la situation, comment vous décidez de le jouer, et ce que vous voulez en faire.
Exemples:
- si votre personnage est très organisé, peut-être qu’à la table il peut avoir un bonus à son jet pour déterminer s’il a perdu un objet hyper important ou pas.
- si votre personnage a une hygiène douteuse, peut-être pourra-t-il passer inaperçu au milieu des zombis.
- en revanche, votre personnage, dont les traits principaux sont sa bonté et sa générosité, ne pourra peut-être pas fuir lorsqu’il y a du danger, si il doit laisser quelqu’un derrière lui.
Bref, toutes ces qualités et ces défauts peuvent avoir l’utilité qu’on décide de leur donner.
L’utilité ludique des talents et défauts à la table
Rappelez-vous bien d’une chose: un défaut pour le personnage n’est pas forcément un défaut à la table. Les emmerdes provoquées par ce défaut ne sont pas (forcément) mal vécues par les autres joueurs et joueuses. Au contraire, tous ces détails peuvent amener de l’amusement.
Les qualités et les défauts peuvent être des instruments pour résoudre des énigmes dans la partie, mais ils ne sont pas que ça—ils peuvent aussi être des jouets pour les joueurs et joueuses.
L’humour peut être une composante géniale lors des parties, selon le genre du JDR. Et du coup, quoi de plus drôle qu’un personnage qui met le boxon dans la partie pour le plus grand amusement des autres joueurs et joueuses?
Enfin, tout cela peut être cathartique (et j’adore ça).
Moi, Nathalie, mère dévouée de deux jeunes hommes neurodivergents, qui s’est sacrifiée toute sa vie, je peux décider de jouer une personne complètement libre, et même égoïste de son temps et de ses ressources—un état d’esprit complètement opposé au mien, une situation que je ne vivrai jamais. Le temps d’une partie, je peux expérimenter une vie totalement différente de celle de mon quotidien.
Ce faisant, je peux aussi amener d’autres challenges à la table, qui peuvent être chouettes à résoudre à plusieurs. C’est un win pour tout le monde!
Pour aller plus loin
Retrouvez d’autres astuces dans les articles de la série Boîte à outils JDR:
- Faire un PNJ que vos PJs vont adorer—Si votre personnage est un PNJ, n’oubliez pas qu’il doit être un véritable protagoniste lui aussi. Il doit être connecté aux autres à un niveau émotionnel et humain.
- Les blessures émotionnelles—Les comprendre, les soigner, et au passage vous y trouverez une longue liste d’exemples de blessures émotionnelles dans laquelle piocher.
- Poser un bon postulat à votre scénario—une ressource pour développer ses propres scénars en leur donnant une base de départ solide et stable. Je vous dis tout sur comment simplifier, comment comprendre les attentes de vos joueurs et joueuses, et rendre votre partie percutante en amenant du conflit.
- Créer un PJ avec une histoire puissante—comment empêcher les joueurs et joueuses de s’ennuyer à votre table en utilisant les besoins, envies et motivations de leurs PJs comme moteur pour votre scénario.
Et on se retrouve bientôt pour de nouvelles Boîtes à outils JDR!